Gringleze en mille tomes - Les Cerises

C'était un mercredi,
Et comme chaque mercredi nous étions attablés à l'heure de midi.
Sur la table ma mère avait déposé la viande, dans son bain de jus, en frétillances, et son plat de purée...
Mais cette fois, pas de cerises.
Ces cerises du Nord chauffées dans leur jus, dans cette petite casserole aux anses d'or.
J'aimais la tournure/consistance que prenait ce jus, quand nous y ajoutions de la fécule de maïs... Cette épaisseur sucrée, réconfortante, d'un rouge sombre. Mmmmh...
Mais ce jour là, la casserole n'était pas sur la table.
"Il n'est pas encore arrivé" me dit ma mère.
"Qui donc ?" demandai-je ?
"Gringleze", répondit-elle.
"Qui est-il" m'étonnai-je.
"Le monsieur aux cerises".
C'est lui, m'expliqua-t-elle, qui chaque mercredi, en matinée, venait déposer un bocal de cerises... Cueillies à sa main aux beaux jours de l'été, elles conservaient toute l'année, dans un jus si sucré. Quel délice !
Mais ce matin, il n'était pas venu.
Le repas semblait alors si triste, désuet.
Et soudain, je vis par la fenêtre une silhouette, lente mais fugace, traverser le jardin.
L'on frappa à la porte.
Ma mère alla ouvrir. J'entendis son 'bonjour'. Lui ne parla pas.
Ma mère revint dans la pièce, et déposa sur la table un pot de grès fumant.
Je reconnus l'odeur, et me levai pour voir, avec bonheur, ces merveilleuses cerises déjà chauffées, qui soudain transfigurèrent la tablée.

C'est la première fois que j'aperçus Gringleze.

Aujourd'hui encore, certains jours, un bocal de cerises m'est déposé... C'est un don, un geste, une œuvre de celui-là. Une bonne chose. Comme on aime bien.