GRINGLEZE Part 2 (vidéau rasade)


Comme un dimanche soir annonçant la fin de saison, voici un petit post pour remonter dans le temps avec une archive qui contentera les girardins de jadis, remixée au goût du jour pour le plaisir des imaginaires... Avec cette vidéo qu'on aime bien :



Ce n'est que partie d'une tricacée... La suite très bientôt pour votre réjouissance !

...

Et pour ceux qui ignoreraient la chose... Une petite rémoulade de souvenir :


L'y avoir rencontré a contribué à l'étrangeté du moment. Mais ce n'est pas sa rencontre qui a conféré à ce lieu son caractère sacré, épicentre d'une géographie personnelle – vécue, imaginée, projetée, construite. Ce lieu m'importait déjà, pour des raisons qui n'en sont pas. Il n'est pas nécessairement de raison dans l'attachement à un paysage, le ravissement d'un parfum, le rejet d'un goût ou d'une valeur. Il y a des lieux avec lesquels ont se construit, de même que l'on doit ce que l'on est à ceux et celles qui font nos souvenirs, et nous ont impactés, chacun.e à leur manière.
Ce lieu, qui nourrit tant l'expérience sensible que l'imaginaire, a pour moi un caractère tonal. Une tonique, où je prenais plaisir à musiquer, ou simplement respirer, et que j'appréciais pour ses nombreuses qualités. Bordant les champs, ce croisement des chemins, dans un mélange de terre, de caillous et de pierres, et de céramique de remblai, ouvre sur l'horizon, openfield. Dans une chapelle, une statuette à l'effigie de sainte Anne est abritée du vent, qui balaie la terre et ses cultures, et qui par moment s'engouffre dans le poteau supportant une petite plaque vieillie par le temps, nommant l'endroit – rue de la Renardise –, et qui alors sonnait comme une flûte, à peine audible. Un aléa dont je me ravissais, seul.
Non loin de là, sommeillent des étangs de pêche ; du cabanon sur la berge résonnent les humeurs des buveurs. Un peu plus loin on aperçoit le mur qui borde le parc du château, territoire réservé et haut-lieu d'histoire, pour la localité mais pas seulement.
Ce lieu, ce point de vue et point d'écoute, où j'aime sentir le fil des saisons, me permet de conserver la bonne distance des choses.
Et c'est un hasard heureux, de l'y avoir croisé. Peut-être cet endroit ajoutait-il au caractère surnaturel de la rencontre.

C'était une fin d'après-midi d'octobre, un jour de semaine. Je buissonnais et m'étais arrêté là. Mes instruments jonchaient le sol, un peu humide. Le vent était frais, mais la lumière chaude. Je vis une silhouette approcher. Les promeneurs sont rares, mais je m'étais habitué à la possibilité d'être dérangé dans ma respiration, craignant par ailleurs de gêner le passage de marcheurs, cyclistes ou engins agricoles. La silouhette avançait lentement. Je devinai un homme grand, à la démarche fatiguée, claudiquante. Je soufflai dans le goulot de la bouteille que je tenais pour compagne. Elle est presque vide, pensai-je. Quand l'individu ne fut plus qu'à une dizaine de mètres, je constatai son attitude courbée, lasse et vive à la fois. Il semblait être un homme sans âge, vêtu d'un long manteau de peau, sans épaisseur, usé par la vie, et coiffé d'un chapeau fatigué. Un paysan ou un pélerin, me dis-je – on en croise à l'occasion, ici, sur les chemins de saint Jacques.
Alors que je m'apprêtais à lancer un « bonjour » de circonstance, il s'arrêta. Il portait un panier recouvert d'un linge. Sans vraiment me regarder il me demanda si je voulais des mirabelles. « La saison est passée », dit-il. Je ne savais que répondre, je l'ai remercié et lui dis que je n'avais pas d'argent. « Non mais moi j'ai des mirabelles, alors sers-toi ! Au nom du vice, mets-en dans ta charette » dit-il en désignant ma voiture. Pour éviter toute forme de contrariété, et sentant venir le malaise, j'acceptai d'un sourire. Il posa le panier dans mon coffre et me dit « la saison est passée ». Il se contenta de reprendre le linge blanc et ce faisant découvrit les fruits, libérant un parfum de sucre tiédi par le soleil bas d'octobre. C'est le premier souvenir que je garde de lui. Je ne connaissais ni son nom, je ne savais d'où il venait ni où il se rendait – si toutefois il le savait lui-même.

Il poursuivit sa marche, me laissant là. La brise semblait avoir dissipé la lumière. « La saison est passée », me dis-je.

*

Quelques jours passèrent et je me remémorai cet instant, épiphanique.

Fentes nues
Des arbrisseaux bagués
En paille tenue
D'un jour aguerri,
Coup de dés

Je réalisai plus tard que cette rencontre, fusse-telle inventée dans le contre-jour de l'arrière-saison, contribua à mes géogonie et cosmogonie intimes, comme l'invention d'un monde en soi, qu'il restait à peupler, à habiter.

*

Un souvenir n'allait pas tarder à affleurer.
Enfant, le mercredi, nous nous attablions pour le repas de mi-journée et je me réjouissais de retrouver la chaleur sucrée des cerises au sirop, qui arrosait la viande. Si je garde l'image de ces bocaux de cerises qui maturaient dans leur jus, sur les étagères, je n'ai jamais vraiment su qui les préparaient, et ne m'en suis jamais soucié.
Un mercredi, je constatai que la casserole aux cerises était vide. Le repas était prêt, mais manquait l'essentiel. Je sentis poindre un mélange de peine et de frustration. Soudain, j'aperçus cet homme passer devant la fenêtre. On frappa à la porte. Sans se presser, ma mère alla ouvrir. Elle revint avec un bocal qu'elle ouvrit ; silencieusement elle déversa les cerises dans la casserole qu'elle mit à chauffer. À peine eu-je le temps de voir la silouhette filer par le jardin, que la peine et la frustration m'avaient quitté.
Je pense aujourd'hui que c'était lui.

*

Un autre jour, à l'aube, je le vis longer le mur du jardin de la Tannée, un sac sous le bras. Derrière, le coq se mit à chanter. Son cri n'avait plus résonné depuis des jours.

Cocorico le gravier
À pas de loutre
Le coeur léger
Filant le rhododendron
En robe claire, semée
D'un soupir monotone
Pervenches des allées odorantes
Se turent



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